Si le manque de vide, d’air dans la configuration systématique de l’espace numérique à travers l’écran m’a conduite à le renverser (2021-2022), le mode relationnel des réseaux sociaux à travers les écrans m’incite à réinvestir les hors- champs.
L’humanisme numérique est en chantier, ce qui me conduit à faire une investigation sur la nature des continuités et de l’étendue entre l’espace physique et l’espace numérique.
Pour cela, j’ai sollicité́ mon entourage pour rencontrer physiquement huit personnes inconnues de moi jusque là, appartenant chacune à une décennie différente (17 à 87 ans) pour relever les incidences générationnelles dans le vécu de cette transition. J’ai demandé́ leur accord pour les photographier en vue de réaliser leur tête en ronde-bosse, enregistrer leurs entretiens, pour en restituer 7 mn audible par casque.
Cette œuvre Antipodes, à la fois anthropologique et artistique, offre plusieurs entrées pour faire valoir les effets du télescopage des temps et des espaces, souligner la nécessité de distinguer leurs différences.
Visuellement, cette installation confronte deux types de représentation de l’humain du début du XXIe siècle:
– un « profil numérique » et une tête en ronde-bosse comme les antipodes de la figuration de l’humain.
La tête en ronde-bosse est un mode de représentation qui appartient à l’histoire de l’art mémoriel basée sur la ressemblance. Elle regroupe une multitude de détails pour aboutir à une singularité qui fait qu’une tête ne ressemble qu’à elle même. La figuration du visage en ronde-bosse comprend la face et le profil. Elle appartient à l’espace-temps de l’espace physique, de l’ici et maintenant inscrit dans la ligne du temps linéaire.
Le profil numérique résulte de calculs produits par des modèles algorithmiques élaborés à partir de traces numériques, sorte de doublon d’un comportementalisme numérique d’un individu. S’il est une représentation, il ne renvoie pas à ce que nous sommes mais à ce que nous sommes potentiellement, de façon probabiliste.
Il ne s’inscrit pas dans un présent mais dans le futur puisqu’il précède nos désirs, nos choix et nos actions de façon prédictible. La fonction du profil est de raccourcir le temps de l’évaluation de ce qui nous convient ou pas, le temps du choix, le temps de l’incertitude. Le profil numérique appartient à l’espace-temps numérique où l’absence du corps supprime les repères fondateurs. Simultanéité, imbrication, corrélation, superposition reflètent les modes de réagencement numérique de l’espace physique.
En choisissant le mot profil, le mot face est mis de côté, absent. L’importance accordée au profil vient de la médecine légale pour l’identification du sujet disparu. En ce sens le profil présuppose la disparition du sujet. La ressemblance physique n’est pas l’objet du profil numérique, ce qui le distingue de la reconnaissance faciale biométrique établie en fonction de caractéristiques biologiques.
C’est par l’intermédiaire de connaissances que j’ai pu faire la rencontre de personnes inconnues de moi, comme des anonymes dans un espace public, pour les découvrir lors d’un entretien. Chacune ayant entre 10 et 90 ans, mon objectif était de suivre, au cours de huit décennies, l’évolution des rapports entre l’espace numérique et physique.
Lors d’un premier échange téléphonique j’ai présenté le sujet de ma recherche et demandé s’ils m’autoriseraient à les prendre en photo pour réaliser leur tête en terre.
Adam, 17 ans, pratique le kung-fu avec ma fille. Nous avons décidé de nous rencontrer à la sortie du lycée en juin 2022 ; il était alors dans sa période de révision pour passer son Bac. Le jardin public étant en face de son lycée, nous nous sommes assis dans l’herbe pour échanger.
Anais, 28 ans, était une élève de l’Institut Cervantes où je prends des cours. C’est mon professeur qui nous a mis en relation. Elle commençait un emploi en tant que chargée de communication pour un musée de Bordeaux. Nous nous sommes rencontrées en février 2022 dans un café.
Frédéric, 34 ans, c’est en déjeunant dans un restaurant à Montpellier que je l’ai sollicité, suite à un bref échange autour d’une discussion sur les phénomènes d’addiction. Il était alors responsable de formation professionnelle et suivait une formation pour être coach pour des thérapie brèves. Nous avons convenu de faire l’entretien par Skype en mars 2022.
Damien, 41 ans, habite depuis quelques années le village où je passe mes vacances, à une heure de Bordeaux. Il était animateur dans une radio locale et boulanger depuis peu dans notre village. L’entretien s’est déroulé chez moi, en mars 2022.
Muriel, 56 ans, est la mère d’une amie ; elle est enseignante pour le C.P. depuis 25ans dans la même école de ma commune. Elle s’est rendue chez moi pour l’entretien, après une journée de classe, en avril 2022.
Jonathan, 61 ans, est astronome au laboratoire d’astrophysique à l’université de Bordeaux. C’est une amie qui m’a mise en relation avec lui. Nous nous sommes rencontrés dans son bureau au campus, en février 2022.
Gérard, 79 ans, est également un élève de l’Institut Cervantes. Il est retraité des éditions scolaires Nathan. Nous avons convenu de faire l’entretien en Avril 2022, dans l’établissement de convalescence où il était, après une intervention au genou.
Nicole, 87 ans est retraitée, elle travaillait à la mairie de Paris dans le service du tourisme. Elle partage sa semaine entre son appartement à Bordeaux et sa maison au Cap Ferret. Elle m’a été présentée par des amis. Nous avons fait l’entrevue dans son appartement à Bordeaux en mai 2022.
I Historique
1 – Comment avez-vous été initié au numérique ?
2 – Votre usage a-t-il changé au cours des années ?
3 – Comment avez-vous perçu la numérisation du monde avec Internet ?
2 Usage
4 – Durant le confinement, comment avez-vous exploité la fenêtre d’Internet ?
5 – Combien de fois et combien de temps passez-vous devant l’écran ?
6 – Comment considérez-vous le temps face à l’écran, quelle valeur a le « maintenant » ?
7 – Comment agencez-vous les différents espaces, pouvez-vous les mettre en continuité ?
8 – Dissociez-vous l’usage du téléphone portable avec celui de l’ordinateur ?
9 – Quelle est la place du corps dans l’espace numérique ?
3 Représentation du monde et espace social
10 – Selon vous les relations humaines sur l’espace numériques sont les mêmes ou pas que dans l’espace physique ?
11 – Comment considérez-vous l’ubiquité possible avec Internet, satisfait-elle l’aspiration à l’ailleurs ?
12 – En quoi la nomenclature d’Internet contribue à penser différemment le monde. Réduit-elle les modes de réflexions ou les augmente-t-elle ?
13 – À force d’être devant un écran plat avez-vous l’impression d’avoir un rapport avec un monde plat ? Oubliez-vous le temps et l’espace dans lequel votre corps vit ?
14 – Est-ce que la rêverie est compatible avec Internet ?