« L’entre » est une notion qui appartient à l’histoire humaine, à son rapport à l’espace, son rapport à l’autre. Avec elle, la comparaison est possible et contribue ainsi à la distinction des éléments qui compose le monde pour s’en faire une représentation et s’y positionner.
« L’entre » est au centre de ma pratique artistique des arts visuels qui porte sur le thème des frontières du corps. Ce sujet répond à mon intérêt pour le corps et pour l’anthropologie, le corps en tant qu’objet tridimensionnel, en tant que membrane plastique, caisse de résonance avec le milieu et l’anthropologie en tant que discipline qui envisage une diversité de liens au monde, de rapports à l’autre et qui observe les mutations de notre humanité.
Au cours de ma pratique, j’ai affiné mes perceptions de « l’entre », tout en poursuivant mes interrogations à son sujet. Aujourd’hui, je considère cette notion aussi importante que le jeu dans les rouages, que la respiration, le suspens, l’imprévu, l’attirance et son contraire, l’élasticité, la coexistence, la diversité.
Avec la conversion numérique, engagée depuis 30 ans, j’ai reconsidéré « l’entre » sachant que le réagencement du monde physique dans l’espace numérique bouge les lignes, les espacements, « l’entre » et la nature des liens.
Cette modélisation numérique du monde esquive une remise en question de notre « ha- biter la Terre » qui, depuis 70 ans, a déjà démontré ses limites, pour nous engager dans un toujours plus virtuel. Par la fragmentation, la duplication, la multiplication du même, du même transformé, elle produit une mouture extensible et à la fois renouvelée de notre environnement culturel.
Pour autant, en offrant cette échappée possible à travers tout écran, elle conditionne une posture bancale d’un entre-deux ou carrément d’un porte-à-faux, établie sur cet aller-retour permanent entre un espace physique varié, espacé, mais limité et un espace numérique standard, normalisé mais illimité. Cette sorte de distorsion conduit à une instabilité-stable qui contribuerait à révéler, à produire une « humanité de l’entre » interférant sur les repères, les rapports humains où les frontières du corps se renégocient.
En suivant le fil conducteur du thème des frontières du corps, mes créations visuelles successives témoignent de ce rapide glissement. La spatialité numérique contraint « l’entre » et en ce sens elle s’avère devenir la dimension essentielle pour préserver la diversité culturelle et politique.